Documents et liste d'articles parus
Liste non exhaustive d'articles publiés dans le Bulletin Mnémo, ou ailleurs, avec 2 documents à télécharger.
- La danse traditionnelle québécoise; définitions et concepts, portrait de la situation, Rapport commandé par le Conseil des arts et des lettres du Québec, 2014, 48 p. (rév. 2015)(30 Mo)
- Gigue et revivalisme au Québec, L’exemple du Brandy, mémoire de maîtrise, Paris, Université La Sorbonne, 1990.(7 Mo)
Articles de Pierre Chartrand :
- Du set au cotillon... (1997)
- Le quiproquo de la gigue au Québec (2004)
- Origine du set carré (1996)
- La gigue québécoise (2001)
- Discours de réception de l'Aldor (reçu de la SPDTQ en 2013)
- La gigue québécoise dans la marge de celle des Îles britanniques (2009)
- La danse à Natashquan (2015)
- Le Livre de contredanses... (manuscrit de Trois-Rivières) 2009, avec Anne-Marie Gardette
- Revitalisation culturelle et le cas du Brandy (2013)
- Les festivals du Canadien Pacifique dans les années vingt. (1998)
- Le mouvement revivaliste depuis le début du siècle (1999)
- La promotion de la danse traditionnelle québécoise ou L'Apologie du swing (1998)
- La danse en Nouvelle-France (2000)
Compte-rendus de livres sur la danse
- Histoires de bal. Vivre, représenter, recréer le bal.(Collectif, Paris 1998)
- Le domaine du rigodon : une province originale de la danse. Jean-Michel Guilcher, Grenoble, 1984
- La danse traditionnelle en France. D'une ancienne civilisation paysanne à un loisir revivaliste. Guilcher (Yves), France, 1998
- La Danse traditionnelle québécoise, et sa musique d’accompagnement, Simonne Voyer et Gynette Tremblay, Québec, 2001.
Origine du set carré
--> Le texte qui suit fut publié dans La danse traditionnelle dans le Bas-Saint-François , Collection Traditions régionales, Normand Legault et Pierre Chartrand, avec la collaboration de la Société d'histoire de Drummondville, Drummondville (Québec), Éditions Centre Mnémo, 1996, 150 p., plus de 200 illustrations de figures de danse, 2 cartes, 25 photographies. Format 21.6 cm X 28 cm (8 1/2 X 11 pouces), 13$ CAN.
Le répertoire présenté dans ce volume se compose presque essentiellement de "sets carrés" (1). Absence totale de cotillons ou de quadrilles. Nous y retrouvons cependant trois danses (Le Petit train de l'Avenir et de Durham-Sud, et En dessus, en dessous de Sainte-Jeanne-d'Arc-de-Lefebvre) qui débutent en carré pour se continuer en formation de contredanse. Celles-ci ne sont cependant pas représentatives des "vraies" contredanses que l'on trouve généralement au Québec. (ex. : Spandy, Belle Catherine, etc...) (2)
Le set carré de la région se caractérise principalement par :
1) sa formation (ou dispositif spatial) en carré de quatre couples, qu'il partage cependant avec quantité de quadrilles ou de cotillons ;
2) ses figures, et surtout sa figure principale qui donne généralement son nom à la danse ;
3) son déroulement, qui tient en partie de la danse "progressive" sans être pour cela en colonne comme les contredanses.
Formation
Le dispositif en carré de quatre couples n'est pas propre qu'au set carré. On le retrouve dans le quadrille et dans le cotillon, aussi bien dans leur formes originales des XVIIIe siècle et XIXe siècle, que dans leurs versions traditionnelles recueillies au Québec. (3)
Figures
Les figures qui composent les danses de la région différencient déjà un peu mieux le set carré du quadrille ou du cotillon. Les figures observées sont de deux types : celles provenant des quadrilles (et par delà des cotillons ou contredanses françaises du XVIIIe siècle) et celles ayant des origines anglo-saxonnes. La figure d'origine britannique est généralement beaucoup plus fluide dans son parcours que la française. Cela on le remarque dès le XVIIIe siècle, au moment où la France importe les Country-dances d'Angleterre, puis commence à en créer elle-même. Les figures composées en France perdront souvent le dynamisme des parcours anglais, pour gagner en symétrie et en ornementation des pas. Ainsi les figures principales de Ladies around the ladies, gents around gents ou Three by three sont bien d'origine anglo-saxonne, tandis que la Grande chaîne, les Promenades, ou les Chaînes des dames sont plus représentatives de l'esprit français.
Les sets décrits dans les pages qui suivent représentent donc un fin mélange des deux genres de figures, les françaises et les anglaises.
Déroulement
Bien que le quadrille, le cotillon ou le set se disposent en carré de quatre couples, ce dernier est le seul à faire progresser la figure de couple en couple. Ainsi, le premier couple (4) danse avec le deuxième, puis avec le troisième, et termine avec le quatrième. Tandis que dans le cotillon ou le quadrille, les couples face-à-face (premier et troisième) exécutent les figures pendant que les deux autres attendent leur tour. Les deux couples de côté (deuxième et quatrième) exécutent ensuite la même suite de mouvements. On passe alors à une nouvelle figure. À l'opposé du set qui fait répéter la même figure trois autres fois par le deuxième couple (avec le troisième, le quatrième, puis le premier), puis par le troisième, puis finalement par le quatrième. Le Corps de la danse est donc répété douze fois dans le set carré, tandis que les figures du quadrille et du cotillon ne sont exécutées que deux fois, ou même qu'une fois lorsqu'elles sont dansées en colonnes de couples (comme dans Portneuf par exemple).
Origines du set carré
Nous avons vu que les figures du set carré prennent leurs sources dans la danse française ou anglaise. Ce qui ne veut pas dire que le set soit lui-même d'origine européenne. Au contraire, tout semble indiquer que le set, tel qu'on le connaît au Québec, provient plutôt des États-Unis.
Tout d'abord parce qu'on ne retrouve rien de similaire au set carré en France ou dans les Îles britanniques, tandis qu'il est plus que fréquent de trouver des squares américains semblables à nos sets carrés. Aussi est-il nécessaire d'entrevoir ce qu'on entend par "squares" chez nos voisins du Sud.
Les "squares" américains
Pour illustrer notre propos, nous prendrons deux exemples de collectes effectuées, l'une dans le Missouri, l'autre en Virginie de l'Ouest (en 1977-1978) (5). Les squares de ces deux régions sont toujours callés, le calleur faisant souvent partie du set (6). Dans ce cas, il y a donc autant de calleurs qu'il y a de sets. Mentionnons aussi que l'appellation "squares" n'est pas uniquement réservée aux danses ayant comme formation le carré de quatre couples. Les danses de Virginie sont à nombre indéterminé de couples, bien qu'un nombre pair soit nécessaire, tandis que celles du Missouri sont toujours à quatre couples en carré. Plusieurs figures de base se retrouvent cependant dans les deux régions. Ces danses sont souvent constituées de trois figures (comme nos trois parties de sets, ou nos trois "changes" ou "chaînes"). En fait, il s'agit toujours d'un cercle progressif (à quatre couples ou plus) dans lequel le couple actif répète la figure de base (relativement simple et courte) avec tous les couples qu'il rencontre (le deuxième, le troisième, etc.). En cela, ces danses correspondent tout à fait aux sets à six, huit ou douze couples qu'on retrouve dans la vallée de l'Outaouais. En Virginie, il est fréquent de changer de figure à chaque nouveau couple actif ou même parfois à chaque nouveau couple rencontré par le couple actif. Plusieurs figures composant ces danses américaines ne nous sont pas étrangères :
- l'Oiseau dans la cage (Bird in the Cage, Greenville (7), Missouri, et New Creek, Virginie) ;
- les Mains blanches (Two Little Hobos, Greenville, Missouri) ;
- la Queue du loup (Wind Up the Grapevine, Greenville, Missouri) ;
- Coupez par six (Cut Away Six, Greenville, Missouri) ;
- Ladies around, gents don't go (pas de nom spécifique, New Creek et Dunmore, Virginie) ;
- Dive for the Oyster (Greenville, Missouri, légèrement différente de celle de l'Avenir) ;
- Four by four (Morgantown, Virginie, on utilise cette figure pour clôturer le Corps de la danse) ;
La grande majorité de ces danses sont structurées de la manière suivante : Introduction, Figure (ou Corps de la danse), Break (Transition), Ending (Finale). Là encore, la similitude avec le répertoire du Québec est évidente.
L'Introduction la plus fréquente pour les danses de Virginie se compose de Demi-tours à gauche et à droite, de Swings et de Promenades, tandis que celle du Missouri est invariablement constituée de Demi-tours à gauche et à droite, Main gauche au coin et Grande chaîne, Swing successif avec les quatre partenaires, et Promenades. Ces Introductions sont encore là très similaires sinon identiques à celles rencontrées au Québec.
Une importation récente
Lorsque l'on compare la formation, les figures et la finale, ainsi que le déroulement de nos sets carrés avec ceux de plusieurs squares américains, la filiation devient claire et évidente. Dès 1940, Ovila Légaré mentionnait l'origine américaine des sets carrés (8) :
"Mais, de toute façon, comme il s'agit de danses américaines adaptées chez nous ;..." (p.4)
Cette remarque de M. Légaré fait suite à un exposé concernant la traduction des termes "Set" et "Caller", dont il ne retrouve évidemment pas d'équivalent en français de chez nous. Faut-il rappeler que les calleurs traditionnels collectés dans les années 1960 ou 1970 ne callaient pour la plupart qu'en anglais ? Et cela même si les danseurs étaient francophones !
Reste donc à connaître le moment de l'importation de ce genre de danse au Québec.
Les premières mentions américaines du terme "Call" datent approximativement de 1825 (9), bien que le call chanté semble plutôt dater de la seconde partie du siècle (10).
Aux États-Unis comme chez-nous, c'est la contredanse (anglaise ou française) qui semble occuper la scène jusqu'au début du XIXe siècle. Le quadrille fera son apparition dans les années 1820, en même temps que sont adoptées chez nous des danses d'origine britannique (reels et gigues). Rappelons que le quadrille n'est en fait qu'un "pot-pourri" de figures de contredanses françaises. C'est grâce à ces deux formes de la contredanse (la française et l'anglaise) que le set carré verra le jour.
La forme anglaise faisait partie du répertoire de la Nouvelle-Angleterre depuis le début de la colonie, tandis que la française s'y implanta suite aux intenses échanges franco-américains ayant eu lieu surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. L'implication de la France dans la révolution américaine, via La Fayette et les troupes de Rochambeau, est connue de tous. On pourrait aussi ajouter que la nouvelle capitale (Washington) fut conçue par l'architecte français Pierre L'Enfant. Concernant la danse, on sait que quantité de maîtres à danser français sillonnaient les routes du pays, diffusant ainsi les danses à la mode dans leur pays d'origine, c'est-à-dire essentiellement la contredanse et le cotillon. Selon M. Damon, le premier maître à danser français dont on retrouve une trace s'appelait Monsieur Sherlot, et semblait travailler dans la région de Boston, quelques années avant la révolution. C'est surtout après 1776, puis suite à la guerre Anglo-américaine de 1812, que les maîtres français afflueront, profitant du (léger) phénomène de refus des danses anglaises au profit des françaises.
Il fallut évidemment que ces danses, enseignées tout d'abord à la noblesse et aux bourgeois, s'étendent au monde rural. Il y aurait ici matière à une étude approfondie des modes de diffusion du répertoire urbain et bourgeois vers le monde rural. Étude qui, à notre connaissance, n'est pas encore réalisée. On peut tout de même estimer que le square américain date du milieu du XIXe siècle, et que son implantation chez nous (sous la forme du set carré) se situe dans la seconde moitié du XIXe siècle, sinon vers la fin du siècle.
Que le set carré soit d'importation américaine, que ce soit par ses figures, son déroulement ou son association obligéeau call, semble assez clair. Plusieurs points concernant son origine et son développement restent encore à élucider. Par exemple :
· Le call et le set sont actuellement indissociables. En a-t-il toujours été de même ? et pour quelles raisons ?
· Par quels moyens les cotillons français ont-ils gagné les couches populaires aux États-Unis, et comment se sont-ils fondus au répertoire anglo-saxon ?
· Et surtout, à quel moment exactement et de quelle manière ces danses américaines ont-elles pris souches au Québec ?
Bien des questions qui sont loin d'être résolues. Pour y répondre, il nous faudra découvrir d'autres sources imprimées, comparer d'autres collectes en danse, mieux s'informer des recherches de nos voisins du Sud, etc. Travail d'envergure, mais essentiel lorsque l'on connaît la place prédominante du set au Québec.
par Pierre Chartrand
Notes
1. Plusieurs appellations sont utilisées pour ce genre de danse : danse callée, set callée, danse carrée et set carré. Pris isolément, le mot "set" apparaît dès le XVIIe siècle en Angleterre (dans "set and turn"). Depuis cette époque il fut utilisé par les Écossais, les Irlandais (ex. Kerry set), dans le cotillon ou le quadrille (Paine's First set of Quadrilles). Au XIXe siècle il devient surtout synonyme de "pot-pourri", "ensemble de"...
2. Il ne s'agit pas de vraies "contredanses à quatre" ou "à six" dans lesquelles les couples impairs progressent de place en place en descendant la danse, tandis que les couples pairs progressent en remontant la danse, mais plutôt de danses dans lesquelles le premier couple se retrouve à la dernière place une fois qu'il a exécuté la suite des figures de la danse. Il s'ensuit qu'il n'y a qu'un couple actif à la fois contrairement aux "vraies contredanses".
3. Pour une histoire détaillée de la contredanse française au XVIIIe siècle, consulter La Contredanse et les renouvellements de la danse française, Guilcher, Jean-Michel. Pour de plus amples renseignements sur les quadrilles et cotillons au Québec consulter La Danse traditionnelle dans l'est du Canada, Quadrilles et cotillons. Voyer, Simonne.
4. Les couples sont numérotés de un à quatre dans le sens inverse des aiguilles de la montre. Pour plus de détails, voir le chapitre "Formation" de "La danse traditionnelle dans le Bas-Saint-François".
5. West Virginia Squares Dances, Dalsemer, Robert G., et Traditional Dance in Missouri, Volume one, Southern Missouri Jig Dancing, Lippincot, Peter and Marget.
6. Une danse est callée lorsqu'un individu annonce les figures, qu'il fasse ou non partie de la danse.
7. La version de Greenville correspond en fait à notre Set à crochet.
8. Sets callés (danses carrées), Légaré, Ovila.
9. Travel through north America, During the Years 1825-1828, Bernard, Duc de Saxe-Weimar-Eisenach. Concernant un bal ayant eu lieu à Columbia (Caroline du Sud) dans lequel les figures étaient callées par un violoneux.
10. Pour plus d'informations concernant l'histoire du call et de la danse traditionnelle américaine en général, consulter The History of Square-dancing, Damon, S. Foster
La promotion de la danse traditionnelle québécoise ou L'Apologie du swing
N.B. : Article paru dans la revue L'Action nationale , en novembre 1998. Celui-ci reprend plusieurs points des articles ci-dessus portant sur le revivalisme .
«C’était le temps où la danse était le plus expressif des langages, c’est-à-dire spectacle pour les danseurs et connaissance d’eux-mêmes par apaisement d’eux-mêmes. Le roi était dans la danse, et chacun était roi. Maintenant le roi est dans son fauteuil et paie pour qu’on l’amuse ; la danse est vendue.»
(Journal, 25 septembre 1933) Alain , Propos d'Alain, Paris, La Pléiade, Ed. Gallimard, 1956, p.1178
Le swing, condensé de la valse, est en fait le «mantra» de la danse traditionnelle québécoise. On pourrait presque le considérer comme préambule, ou prétexte, à toutes nos danses de figures. Comme le disait un vieux danseur du Bas-du-Fleuve : «Moi, la seule chose qui m'intéresse, c'est de virer »
En plus de cette orientation fort prononcée pour le swing, nos quadrilles, cotillons et sets carrés représentent un art consommé de la rencontre de l'autre. Surtout le quadrille, qui, de sa 1ère à sa 5e ou 6e partie, ne cesse de multiplier les échanges avec le couple d'en face, puis avec l'ensemble des couples (Galope ou Bistringue). On s'aperçoit alors que chaque figure a sa propre personnalité : le swing est sensuel et quelque peu fantasque, la Chaîne des Dames est affable et courtoise, la Grande chaîne, grégaire et festive. En ce sens, le quadrille est l'école de la civilité, de la courtoisie, sinon de la séduction. Et le swing en est l'apothéose, le but ultime, le plaisir extrême, toujours renouvelé. Bien «virer» c'est être à l'écoute de l'autre. C'est ajuster notre maintien à celui de notre partenaire, rapprocher nos épaules, ré-enligner le bassin, trouver la position idéale qui permette l'envol, de soi et de l'autre. Le swing est le révélateur ultime du danseur et de la danseuse. «Montre-moi comment tu swingnes, je te dirai qui tu es». De là à dire que la danse traditionnelle est chose essentielle à la culture d'un peuple, il n'y a qu'un (léger) pas.
C'est pourquoi la SPDTQ se voue depuis plus de 17 ans à la promotion de la civilité et de l'évasion, de la danse donc. Se lancer dans une danse «sociale» tel le quadrille ou le set, c'est exprimer son accord au groupe, c'est accepter des règles communes à tous, tout en gardant son espace de liberté et d'évasion (encore le swing). C'est s'assurer, et se répéter, que l'individualisation de notre société n'est pas irrémédiable, que la conscience sociale n'est pas disparue avec les annonciateurs de la «fin de l'histoire».
La SPDTQ et le «revivalisme» depuis les années vingt
Les années vingt
La SPDTQ se situe pleinement dans la lignée des grands mouvements «revivalistes» de notre siècle. Le 18 mars 1918, Conrad Gauthier et Marius Barbeau organisaient déjà les «Veillées du Bon vieux temps » à la Bibliothèque Saint-Sulpice d'abord, puis au Monument National ensuite. En 1922, E.Z. Massicotte lance les «Soirées de famille» (également au Monument National) dans lesquelles on retrouve, entre autres, Ovila Légaré comme câlleur.
C'est dans cette vague d'intérêt pour nos arts populaires qu'apparurent les «Festivals des métiers du terroir» (1927, 1828, 1930), organisés aussi par M. Barbeau, accompagné de Charles Marchand et de John Murray Gibbons. Ce festival faisait partie d'une série d'événements conçus par le CP (Canadien Pacifique) et se tenait dans les grands hôtels de la compagnie ferroviaire (Banff, Regina, Québec...).
On y présentait aussi bien le chanteur traditionnel que l'interprète fraîchement émoulu du conservatoire. Le répertoire, provenant presque essentiellement des collectes d'Ernest Gagnon et de Marius Barbeau, était souvent chanté par des chanteurs académiques. Ainsi Rodolphe Plamondon (qui a étudié la musique médiévale avec Vincent D’Indy) chantera des chansons des XII et XIIIe siècles, accompagné du Hart House Quartet. On y retrouvera aussi Léon Routhier du Métropolitan Opera, Cedia Brault, mezzo-soprano du Manhattan Opera Company, et Wilfrid-Pelletier, déjà chef d’orchestre au Metropolitan Opera de New-York, etc. À cela se mêlent des groupes plus près de la tradition : Les Troubadours de Bytown avec Charles Marchand, Émile Boucher, Fortunat Champagne, Miville Belleau, accompagnés par Louis Bédard. On trouve finalement quelques chanteurs musiciens ou danseurs traditionnels (qu’on ne présente pas ou peu, contrairement aux chanteurs ou musiciens de formation classique).
Cela avait somme toute une allure assez «académique» et restait principalement orienté vers le spectacle, sans aucun bal populaire.
Les années 1930-1950
C'est à la même époque qu'apparaissent les émissions de radios diffusant de la musique et de la chanson traditionnelles. Dès 1929, la station CKAC (Montréal) présente régulièrement Conrad Gauthier, Donat Lafleur, Isidore Soucy... En 1931, CKAC et CFCF, diffuseront les «Veillées canadiennes» avec, entre autres, Alfred Montmarquette, Adélard Saint-Jean, Eugène Daignault... Le cas des «Montagnards Laurentiens» demeure le plus bel exemple de l'impact qu'on put avoir ces émissions sur la population. La station CHRC de Québec les programmait les samedis soirs, de 18h à 19h, puis de 21h à 22h . CKAC se mêla de la partie à la fin des années 40. C'est ainsi que les Montagnards Laurentiens tinrent les ondes près de 20 ans (1934-1951). Leur cote d’écoute avoisinait les 75%, dépassant parfois la Soirée du Hockey. Pendant la guerre, on pouvait capter l’émission sur ondes courtes de Québec à Halifax, et même en Allemagne pour nos soldats partis là-bas.
Plusieurs de ces émissions eurent un impact notoire sur la pratique de la danse au Québec. En effet, des stations engagèrent des câlleurs pour les veillées diffusées le samedi soir. Ainsi CHRC publie «Danses Carrées» (vers 1945), présentant les figures câllées par Jos Miller lors des émissions. Ovila Légaré fera de même en 1950 («Sets callés»), ainsi que Pierre Daignault en 1964, avec son «En place pour un set».
Ces «cahiers de câlls» présentant les figures de sets carrés visent à faciliter la tâche aux auditeurs qui voudraient danser dans leur cuisine au son du câll radiodiffusé. La radio prenait ainsi le relais du violoneux et du câlleur du village. Cela eu comme effet de propulser le set carré à l'avant-scène, au détriment des autres genres de danses (quadrille, cotillon, contredanse). On produisait aussi des disques de «danses câllées», comme celui d'Ovila Légaré avec Les Princes du folklore (1959).
Le succès des salles de bals urbains vint également avec l'Après-guerre. C'est ainsi qu'on retrouvait Philippe Bruneau, Ovila Légaré, Andy Desjarlis au Café Mocambo, à la fin des années cinquante, tandis que la Salle Saint-André «roulait» depuis une bonne dizaine d'années. Il en allait de même avec les salles du Trinidad Ballroom et du Casa Loma, pour ne nommer que celles de Montréal.
C'est aussi à cette époque que le mouvement des JÉC (Jeunesses étudiantes catholiques) récupère la danse traditionnelle à des fins éducatives. Cette pratique est principalement orientée vers la classe étudiante relativement aisée, mêlant «folklore international» au répertoire d'ici. Les groupes folkloriques, principalement voués au spectacle naîtront aussi durant cette période.
Dans la même foulée, et suite à la création des Archives de folklore de l'Université Laval, Mme Simonne Voyer (sous l'invite de M Luc Lacoursière) commence à recueillir des danses dans l'est de la province, ainsi qu'en Acadie. Les années 50-60 seront ainsi fort importantes pour la connaissance de notre répertoire traditionnel. La danse traditionnelle, se perpétuant encore dans bien des régions, devient alors sujet d'étude et de cueillette ethnographique.
Les années soixante-dix
L'aliénation du spectateur au profit de l'objet contemplé (...) s'exprime ainsi ; plus il contemple, moins il vit, plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L'extériorité du spectacle par rapport à l'homme apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui-même, mais à un autre qui les représente.
Guy Debord , La société du spectacle, Paris, Champ libre, 1983, p.21
Puis viendront les années soixante-dix, le réveil nationaliste, et l'engouement pour les traditions populaires l'accompagnant. Il y eut la Veillée des veillées, Les Veillées à tout l'monde au Pavillon Latourelle (Palestre Nationale)... En même temps qu'on produisait plein de documents sur des musiciens traditionnels (collections discographiques du Tamanoir et Philo, la série de films «Le son des français d'Amérique»...) se créait quantité de nouveaux groupes de musique (La Bottine souriante, Ruine-Babine, Barde...).
En 1977, Jean Trudel écrivait ainsi :
«Un fait est intéressant à constater : c'est celui de la grande vigueur que connaît actuellement la musique traditionnelle. Plusieurs raisons expliquent ce fait : la grande vogue qui existe depuis quelques années pour tout ce qui touche à l'histoire et au patrimoine [...] S'il y a un retour marquée vers la musique traditionnelle aujourd'hui et de la part de la jeune génération c'est qu'elle commençait à sentir une perte de la vie, elle qui depuis les années 1960 a été continuellement déracinée [...] c'est cette même jeunesse donc, qui reprend à son compte la vie intime authentique et sans artifice de la collectivité dans laquelle elle se trouve. Il ne faut donc pas s'étonner que sa musique serve de base en même temps que de tremplin à une nouvelle vie musicale adaptée à ce que nous sommes. »
Le propre du mouvement «folk» des années soixante-dix était aussi de permettre aux gens de se ré-approprier ces modes d'expression traditionnels, de réagir contre la «mise en spectacle» excessive de notre société. La veillée traditionnelle urbaine prit alors un essor important. Et voilà qu'un groupe de chanteuses et chanteurs (appelé Les chanteux) pris la décision de fonder Les Veillées du Plateau, puis la Société pour promotion de la danse traditionnelle québécoise, au moment d'ailleurs où le mouvement commençait à s'essouffler. Depuis, la SPDTQ poursuit l'effort de sensibilisation de la population à sa culture traditionnelle, continuant ainsi l'action entreprise par les V. Morin, M. Barbeau, O. Légaré... et cela depuis le début du siècle.
La SPDTQ aujourd'hui
La danse..., ce serait donc la plus ancienne conversation, celle qui n'exprime rien qu'elle-même. Nous sommes en conversation et nous nous disons ceci, que nous sommes en conversation. C'est bien plus qu'exprimer une chose ou une autre ; c'est exprimer l'homme à l'homme.Alain, Vingt leçons sur les beaux-arts, in Les arts et le dieux, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pleiade, n: 129, p.497
L'activité fondatrice de la Société fut donc les Veillées du Plateau. En 1986 naissait le premier camp de formation Danse-Neige, qui, lui aussi, prenait le relais des grands stages de danse et de musique disparus au début des années quatre-vingt. La Société pour la promotion de la danse traditionnelle québécoise s'affirmait déjà comme un des chefs de file dans le domaine. Le festival La grande rencontre s'ajoutera aux activités de la Société en 1992, et deviendra LE festival «folk» de Montréal. Finalement, depuis l'hiver dernier, la SPDTQ a mis sur pied l'École des arts de la veillée, ajoutant ainsi une autre pierre à cet édifice entièrement voué à la diffusion de notre culture traditionnelle.
La fondation de cette École survient d'ailleurs au moment même où, vingt ans plus tard après la fondation de la SPDTQ, apparaît un regain d'intérêt pour les arts traditionnels. La SPDTQ est donc plus que fière d'avoir assumé le relais et la continuité pendant cette période creuse que furent les années 85-95.
Tout cela pour le swing. Pour permettre au plus grand nombre de renouer avec, bien sûr, sa culture populaire, mais aussi, et peut-être surtout, de redécouvrir cet immense plaisir du swing et de la danse partagée. Une fois les discours récités et les proclamations faites, reste toujours cet ineffable plaisir de la danse et de la musique, qui persiste et s'impose, avant et après les énoncés cherchant à les circonscrire.
Le danseur est souvent dans la position du cuisinier qui trouve souvent faibles les mots et circonvolutions décrivant ses mets et sa pratique. C'est en «virant» qu'on découvre et redécouvre le sens et l'importance de la danse dans notre vie, et qu'on conçoit la place que cet art pouvait prendre dans le quotidien de nos ancêtres. Cette danse qui reste un des meilleurs antidotes à la sur-médiatisation de notre société, à la transposition sans cesse accrue vers la scène et l'écran. Art sans instrument autre que le corps, il exige une implication totale, sans fuite possible dans le virtuel, toujours à recommencer à chaque corps rencontré. Et on en vient à se souvenir d'un swing comme d'autre se souviennent d'un sourire, d'un visage, d'un profil...
Discours de réception de l'Aldor 2013
Discours de réception du Prix Aldor, remis le jeudi 9 mai 2013, au Gesù, dans le cadre de la Grande Rencontre (festival produit par la Société pour la promotion de la danse traditionnelle québécoise (SPDTQ).
Je voudrais tout d'abord remercier la SPDTQ et son conseil d'administration de m'avoir choisi pour l'Aldor de cette année.
Quand Gilles [Garand] m'a appelé pour m'annoncer la bonne nouvelle, ma première réaction fut de lui dire que j'étais bien trop jeune! Mais il m'a finalement convaincu, non pas que j'étais vraiment plus vieux que je ne le croyais, mais plutôt en me disant d'une part que plusieurs avaient reçu l'Aldor à un âge similaire au mien, mais surtout en m'expliquant que c'était également la danse traditionnelle qu'il voulait mettre en valeur par ce prix qui m'était octroyé, comme à un représentant du milieu de la danse. Il est clair qu'à partir de là, j'étais tout à fait d'accord. La Danse est le corps, dont la Musique est l'âme Ou «la musique est une âme qui se cherche un corps». La musique serait comme un pur esprit, une lueur, qui chercherait à s'incarner dans le réel, à la recherche d'un corps et de ses sens, et c'est par la danse qu'elle y parviendrait. La Danse, quant à elle, serait un corps en quête d'un souffle, d'une inspiration, d'une âme, et qui la trouverait dans la musique.
D'autant plus que l'Aldor était le prix tout indiqué pour souligner la grande place que revêt la danse dans notre patrimoine. Tous connaissent sans doute Aldor Morin comme harmoniciste, mais plusieurs ignorent qu'il était également excellent câlleur et superbe gigueur. On peut d'ailleurs l'entendre câller sur plusieurs disques (dont un avec Carignan). Cette remise de l'Aldor me touche donc d'autant plus qu'il porte le nom d'un gigueur-câlleur-harmoniciste, comme moi! (la majorité d'entre vous a eu la chance de ne pas m'entendre à l'harmonica;-) disons que c'est la comparaison la plus boiteuse entre Aldor et moi.)
Ainsi, par sa vie même, Aldor Morin nous a montré comment musique, danse, câll et gigue allaient de pair, ne faisaient qu'un, chez le même individu. Et c'est également ce que je m'efforce de faire depuis quelques décennies.
Il n'est en effet jamais superflu de rappeler comment musique et danse sont indissociables dans le contexte des répertoires traditionnels. Je cite souvent cette très jolie phrase d'Yvon Guilcher (le fils de Jean-Michel Guilcher, qui fut mon tuteur du CNRS à la fin des années '80) :
Tout cela est particulièrement vrai dans le cas de notre tradition, entre autres dans le cas de la gigue. On pourrait même dire que : La Gigue est le corps dont le reel est l'âme (le reel, le 6/8, la valse, le 3/2.)
Car on peut écouter de la musique, assis, en tapant doucement du pied, avec plaisir. Mais viens parfois un moment où cette musique est si belle, si envoûtante, si touchante, qu'on ne peut plus l'écouter ainsi, en tapant doucement du pied. Vient un moment où on veut l'écouter plus, l'écouter mieux, où on veut plus que l'écouter, on veut la vivre, la sentir au tréfonds de soi. C'est alors qu'on se lève, et que cette mélodie nous entre par les oreilles, nous descend le long du corps et de nos entrailles, et nous sort par les jambes et les pieds. C'est alors que danse et musique ne font qu'un, que le temps et l'espace, l'âme et le corps, s'unissent.
On pourrait dire en fait que la gigue est le superlatif de l'écoute musicale.
Je remercie donc encore une fois la SPDTQ de souligner, par cet Aldor qui m'est remis, le lien vital unifiant la musique et la danse.
Pierre Chartrand
La Cie Danse Cadence
La compagnie Danse Cadence, fondée en 2000 par Anne-Marie Gardette et Pierre Chartrand, est vouée à la danse traditionnelle, principalement québécoise, et à la danse ancienne (baroque, Renaissance, Nouvelle-France, etc.).

Anne-Marie Gardette et Pierre Chartrand sont présents sur la scène de la danse depuis plus de 40 ans. Nous nous produisons et intervenons dans différents contextes :
- concerts musique et danse trad (ex. Rapetipetam)
- spectacles de danse ancienne, avec musiciens (ex. Voyage baroque)
- animation en danse trad québécoise (câll de danses carrées et autres, pour mariage, anniversaire, etc.)
- animation en danse ancienne (contredanses, menuets, branles, pour événement historique, mariage, ...)
- animation bal folk (bourrées, scottisches, valses, mazurkas, etc.)
- médiation culturelle sur la danse et la musique traditionnelle québécoise, ainsi que sur l'histoire du Québec (ex. médiation auprès de groupes d'immigrants en francisation)
- ateliers scolaires (primaire, secondaire, Cégep., et via la Culture à l'École)
- conférences sur l'histoire de la danse populaire, de la Nouvelle-France au Québec du 20e siècle
